Plastic Forest
Tout a commencé par la collecte de bois. Pendant plusieurs mois, avant l’arrivée du virus, j’ai glané toutes sortes de branches ; elles sont maintenant partie intégrante de l’atelier, s’y fondant jusqu’à en tapisser les murs. Le bois, toujours présent à mes côtés, est un vecteur de contact direct avec les arbres, un intercesseur, un filin de sauvetage vers le monde naturel.
GLANAGES ET RECYCLAGES
Au début de l’année 2020, le virus annonçait un âge nouveau. L’apparition du Covid-19 et les bouleversements qu’il a entraînés, ont provoqué une transformation importante de ma pratique artistique. Au cœur de mon travail se trouve la tension entre la matière organique et les matériaux synthétiques (peintures acryliques, papier d’impression siliconé) que j’utilise. À cet endroit s’affrontent la peur et l’espoir, et la nature les transcende.
Les branches sont des arbres en puissance, elles sont dans ma peinture, une sorte de muse ou de fée qui régénère la pensée et l’observation. Je me sens soutenu par ces branches-arbres, tout autant que je les soutiens pour peindre ; elles sont devenues mes pinceaux, mes bâtons de rituels ; elles initient des gestes réparateurs et créateurs. La structure des branches, leurs formes, leur ingéniosité, leur persévérance, leur résistance et leur potentiel de régénération au delà des attaques subies, agissent comme un contrepoison face à la dimension toxique des matériaux synthétiques ; elles sont le pouls vivant de mes peintures ; leur action est rédemptrice.


Parallèlement à mes collectes de branchages, j’ai commencé à travailler avec de la peinture acrylique sur un papier qui n’est pas originairement fait pour être peint. Il s’agit d’un papier d’impression industriel, recouvert d’un revêtement plastique ou silicone sur une de ses faces – c’est sur cette face siliconée que je peins. Ce papier récupéré dans des stocks d’imprimerie est un papier « toxique », extrêmement difficile à recycler. Destiné à être jeté au moment où je m’en saisis, ce papier trouve une nouvelle destination. En le faisant passer du statut de rebus, de déchet à celui de support, ma peinture le réintroduit dans le cycle du vivant.
Par ailleurs, le comportement de la matière peinture sur cette surface est central dans ma démarche : du point de contact à son point de repos imprévisible, la peinture se métamorphose progressivement. Le geste pictural initial tient autant du dripping que du dessin sur le sable, il s’efface à chaque passage, se recouvrant comme un tissage. Avant que la peinture ne se stabilise, tout peut changer, se modifier, se métamorphoser. Mais une fois sèche, la peinture devient un relief infra-mince, qui se solidifie. Il s’agit alors de décoller cette résille de peinture du papier, laissant celui-ci comme vierge, amnésique de toute trace.

HERBIER DE PEINTURE
Une fois la peinture sur papier siliconé achevée, je transfère sa matière, son corps sur une autre surface, un papier vélin ; cette résille picturale séchée se métamorphose en dentelle. Le papier recueille et conserve la « fleur-peinture » et la peinture devient archive ou herbier. Les gestes sont intuitifs, méditatifs ; ces peintures sont lentes, mûries à l’échelle d’un autre temps. Dans cette phase, les peintures signalent l’apaisement grandissant, le retour à une nouvelle vie.
Ce processus de travail agit comme un terreau fertile ; pas à pas, il engendre, tel un fil d’Ariane malicieux, des variations qui tour à tour me guident et m’égarent. Le chemin que dessinent les successions d’actions est évolutif, rhizomatique. Il décrit une méthode qui déborde toujours son cadre, un processus spirituel où l’esprit du vivant migre d’une forme à une matière, d’un espace à son fantôme, de la branche à la feuille, feuille-liber d’où vient notre papier.



Les traditions picturales multiples dessinaient dans le sable, sur la chair des écorces, mêlaient aux excréments des offrandes, le dripping des gouttes de sang ; ici une empreinte, là une trace, ailleurs un corps. Je vis le langage de la peinture comme une “fréquence” spécifique qui pourrait être proche de la transe. Branches et brindilles, bouts d’arbre, c’est avec eux que je peins. Tels les bâtons de sourcier, ils découvrent d’autres chemins à ma peinture, invitent d’autres gestes parfois réparateurs. Les forêts sont les fantômes de mes peintures et mes peintures sont les jardins perdus de ces forêts.
Contre toute attente, cet artisanat patient mène à une morphogénèse organique qui s’émancipe radicalement des matériaux industriels ; là où l’accident et l’intention fusionnent, un monde intrinsèquement biologique naît. J’éprouve une sorte de justice poétique devant ce surgissement. L’acte de peinture est pour moi fondamentalement un acte de réparation, de sauvetage de matières organiques et de matières toxiques, souvent laissées pour compte ; un engagement qui déjoue le poison et ramène le vivant.