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Entre janvier et mars 2020 j’ai collecté du bois, la juste quantité, toutes sortes de branches. Elles font partie de mon atelier maintenant, s’immisçant parfois dans mes rituels et mes pratiques ; toujours présentes. Ce bois a une influence sur tout : il est comme un cordon relié au monde naturel, la force qui nourrit désormais mon travail, dont le contexte est ce nouveau fléau.

 

Plastic Forest

PLF 17, 125×115 cm

Le procédé créatif de chaque peinture essaie de résister à l’impact de cette pandémie. Et en même temps, ce corpus se trouve conditionné par elle. Lorsque je peins ces œuvres je me sens vraiment là où je dois être, isolé de l’isolement qui nous est imposé.

C’est une expérience révolutionnaire pour moi, qui renverse toute ma pratique précédente. Mais autant qu’une révolution, ces peintures sont une méditation sur l’impermanence et la fragilité.

 

Entreprendre ce projet a été à la fois un défi et un choc pour moi. En art, normalement, on crée quelque chose ; là, il s’agit d’une séquence : créer, déconstruire puis reconstruire dans le monde digital. La fin de quelque chose, et un commencement ; comme une réponse à la violence et au chaos que le virus a fait se déchaîner, et une façon de rebondir. Ensemble, les différentes étapes de ce processus parlent de changement : dans ces temps de grands bouleversement, il est temps de changer, d’aller vers autre chose, un mieux.

 

Ce qui est rangé dans ces boîtes, c’est cette histoire.

Le futur appartient aux Fantômes

Une fois les peintures physiquement enfermées dans cet état, l’histoire de leur création continue à se dire à travers la photographie et la digitalisation. À partir de l’enregistrement digital je crée un tirage unique à l’échelle 1:1, dont la chromie est parfaitement fidèle à l’original. J’appelle ce tirage « fantôme » (ghost).

Ce qui pour moi résonne profondément, c’est le fait d’arriver à ces œuvres par le biais d’une série de transformations, et je voudrais susciter la même réflexion de la part du regardant. Procéder par transformations agit comme un filtre, qui altère notre compréhension de l’œuvre, mimant la façon dont nous appréhendons le monde contemporain – à travers des filtres qui interprètent et parfois distordent le réel.

Cette série est ouverte. Je continue à enregistrer, intégrer cette période de pandémie, à digérer ses effets, à chercher mon chemin. Plastic Forest deviendra simplement la forêt, lorsque les choses se poseront.

Le papier que j’utilise n’a pas été conçu comme support de peinture.
Il s’agit de la pellicule protectrice d’un papier d’impression industriel, couverte d’un revêtement plastique ou silicone sur une de ses faces, celle que je peins. Elle a déjà rempli son rôle, je lui en donne un autre.

Préparer les peintures occupe une grande partie du temps d’exécution : une fois qu’elles sont prêtes, tout se joue en un acte, presque un seul geste. Il n’y a pas de point d’ancrage ou de composition préméditée, pas d’entrée ni de sortie de ces peintures. Je les termine comme je les commence ; leur brièveté me soulage de tout pour me permettre une seule chose : m’appliquer, m’adonner à l’expérience immédiate et viscérale de créer.

Après plusieurs années, je me suis remis à utiliser les pinceaux. Ils explorent le papier par des touches qui ont quelque chose de cyclique sans être systématique, mimant une mécanique, en écho à la fonction première de ce papier… Aussi loin que possible de la nature.
La façon dont la peinture entre en contact avec cette matière est explosive. Impossible de contrôler ou de diriger la peinture une fois déposée ; les couleurs acryliques migrent en même temps que le papier les rejette, puis, en séchant, elles finissent par se stabiliser. Ce temps pendant lequel la peinture cherche son espace est comme la progressive et microscopique poussée des végétaux. Je me rapproche alors de la nature : un moment de poésie et de chaos, et une alchimie, comme l’est la photosynthèse.

Processus d’enregistrement des œuvres de la série Plastic Forest

Les techniques utilisées sont issues des mondes des arts graphiques, de l’imprimerie et de la reproduction muséale.
Les originaux ont été photographiés sous lumières contrôlées en haute résolution en plusieurs passes. Après cette digitalisation, les teintes des originaux ont été mesurées au spectrophotomètre.
Un papier de haute qualité a été choisi par l’artiste et l’impressions pigmentaire assure une grande pérennité aux tirages.
Une série de tests ont été effectués sur ce papier et mesurés successivement pour arriver à un écart de couleur minimal avec l’original disparu.
La couleur du support et sa nature étant différents, un dernier ajustement a parfois été choisi par l’artiste.
Un tirage final unique a été réalisé, les tests et « ratés » ont été détruits.

P. Cas

 

Collaboration

Du musicien Alex Andreas Duncan, avec qui je travaille sur la série AAD, j’ai appris la puissance qui peut surgir d’une véritable collaboration artistique. Nous sommes plus forts ensemble.

Je ne pense pas que j’aurais entrepris un tel projet avec confiance s’il n’y avait pas le respect et la foi que j’ai dans le photographe Philippe Cas, qui archive mes œuvres et réalise les tirages.
Artiste lui aussi, Philippe Cas a suivi ce projet depuis sa conception. Il le comprend et le connaît dans ses moindres détails. Son intervention n’est pas ponctuelle ou limitée : j’ai un allié.

 

Jonathan Lane, Marseille, 2022